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Taputapuātea classé au patrimoine mondial de l’Unesco

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Le 9 juillet 2017, l’Unesco annonçait officiellement l’admission au patrimoine mondial du marae Taputapuātea sur l’île de Ra’iātea. Une consécration pour cette île, berceau de la culture mā’ohi, mais aussi pour toute la Polynésie française. Partons à la découverte de ce site au cœur-même de la mythologie et de l’ancienne religion de la Polynésie orientale.

Taputapuātea est un complexe archéologique cérémoniel situé sur la côte est de la plus grande des îles Sous-le-Vent, Raiatea, à 230 km au nord-ouest de Tahiti. Protégé depuis 1952 et classé ensuite au titre des monuments historiques et naturels, il est sauvegardé par la réglementation de Polynésie française. Cette protection, ainsi que le respect qu’inspire le site, ont permis sa bonne conservation jusqu’à nos jours. Mais la reconnaissance internationale que lui apporte la distinction de l’Unesco vient consacrer de manière encore plus forte ce témoignage exceptionnel d’une tradition culturelle millénaire. De par son étendue et la qualité de ses vestiges, Taputapuātea est en effet l’exemple par excellence d’une architecture lithique ancestrale que l’on retrouve, avec des nuances stylistiques, dans plusieurs archipels. À noter que ce classement, en tant que « paysage culturel » pour sa valeur universelle et exceptionnelle, représente une grande première pour les Outre-mer français. Ces derniers comptent en effet de nombreux sites naturels classés, mais aucun de type « culturel ». Plus important encore, Taputapuātea fait maintenant partie d’un ensemble très restreint – quelques uns seulement – de sites culturels polynésiens classés au patrimoine mondial. Il va ainsi côtoyer, sur un pied d’égalité, le site de l’île de Pâques – Rapa Nui – avec ses célébrissimes moa’i. La reconnaissance, obtenue en juillet 2017 est double : reconnaissance de la civilisation polynésienne et de sa place dans les civilisations de notre planète, d’une part ; et confirmation, d’autre part, de la grande importance de nos îles dans cette aire culturelle qui s’étend sur une vaste partie du Pacifique.

Foyer ancestral de la culture polynésienne

Ces lieux, désormais reconnus, le sont bien sûr pour leurs terrasses pavées (pae pae) et leurs marae proprement dits, installés sur la pointe de la péninsule Matahiraitera’i. Autrefois sacrés, ces espaces communautaires – temples à ciel ouvert – représentaient l’interface entre le monde des humain, te ’ao, et le monde des dieux et des ancêtres, te pö. Mais, outre ce centre cérémoniel et religieux – et aussi centre de pouvoir – âgé de plusieurs siècles, c’est tout un périmètre de près de 2 500 hectares qui est concerné. Pour le Conseil international des monuments et des sites, qui a procédé à leur examen en vue du classement, ils « illustrent d’une manière exceptionnelle l’histoire du peuplement du Pacifique oriental par des Polynésiens et l’organisation territoriale, sociale et religieuse de ces populations ». De plus, en tant que foyer ancestral de la culture polynésienne, Taputapuātea « revêt une importance exceptionnelle pour les peuples de la Polynésie tout entière, par la manière dont il symbolise leurs origines, les relie à leurs ancêtres, et en tant qu’expression de leur spiritualité ». Illustrant plusieurs siècles de civilisation mā’ohi, ce site n’offre pas seulement un intérêt pour ses « vieilles pierres », aussi spectaculaires soient-elles. Il était – et reste encore de nos jours – un foyer de rayonnement culturel majeur au centre du « Triangle polynésien » dont les pointes sont Hawaï au nord, Rapa Nui (l’île de Pâques) au sud-est, et Aotearoa (la Nouvelle-Zélande) au sud-ouest.

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Un lieu traditionnel de rassemblement des peuples du « Triangle polynésien »

Des échanges inter-archipels sur de très longues distances, parfois amicaux ou parfois guerriers, eurent lieu durant plusieurs siècles, même s’ils s’amenuisèrent à partir du XVe siècle après J.-C. Le district de Ō-po-ä était donc le centre d’une alliance interinsulaire nommée « Hau faatau aroha », ou « Chefferies nouant des alliances ». C’est sur le marae de Taputapuātea qu’étaient accueillies, après avoir franchi sur leurs pirogues doubles la passe sacrée Te ava mo’a, des délégations venues des îles de la Société mais aussi de Nouvelle-Zélande, de Hawaï ou des Cook… Là s’y déroulaient de grandes cérémonies cultuelles et d’importants rassemblements politiques. À l’origine simple marae « national » de Raiatea, ce site a donc acquis une importance régionale dans le Pacifique Sud du fait de sa présence au cœur du « Triangle polynésien ».

Même si les anciennes pratiques religieuses n’ont pas subsisté jusqu’à nos jours (elles ont disparu à la fin du XVIIIe siècle), des communautés du Triangle polynésien se retrouvent aujourd’hui encore sur ce lieu de mémoire car elles ont maintenu, ou retrouvé, un lien spirituel fort. Comme l’explique Richard Tuheiava, ancien sénateur et président de l’association Na-Papa-e-Va’u- Raiatea (voir encadré), « cette ‘rayonnance’ culturelle et spirituelle étendue à travers Te-Moana-Nui-a-Hiva (Océan Pacifique) et son rôle de témoin privilégié de la civilisation polynésienne juste avant le contact européen, font de ce complexe cérémoniel et archéologique sacré un point géographique majeur dans la renaissance de la culture polynésienne contemporaine ». En témoigne, encore en avril 2017, l’accueil de la célèbre pirogue hawaïenne Hokule’a, dont l’équipage est héritier de la maîtrise exceptionnelle de la navigation traditionnelle sans instruments des anciens Polynésiens. Une pratique qui tend aujourd’hui à renaître également en Polynésie française.

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Un ensemble architectural exceptionnel

C’est essentiellement le complexe archéologique situé en bord de route, dans le district d’Ōpoa à quelque 30 kilomètres de la petite ville d’Uturoa – le centre administratif des Raromatai (îles Sous-le-Vent) – que l’on visite. Installé sur une pointe se projetant dans le lagon, il s’agit d’un ensemble monumental en pierre (galets de rivière et blocs de corail) qui comporte plusieurs marae et pae pae dont la construction s’est étalée du XIVe au XVIIIe siècle. Cette partie emblématique du site est la plus spectaculaire. Mais la classification de Taputapuātea ne se limite cependant pas à elle. Le site dans son ensemble intègre sur plusieurs centaines d’hectares une colline adjacente, deux baies et deux vallées boisées ainsi que leurs crêtes – les vallées de ’Öpoa et de Hotopu’u. Ces dernières recèlent d’anciens établissements qui attendent des investigations archéologiques : bases de maisonnées, terrasses horticoles et marae… On en compte plus de 300, la plupart encore enfouis dans la végétation.

Dans les parties hautes des vallées, lieux encore difficilement accessibles cependant, se trouvent les marae les plus anciens comme le marae fondateur Vaeāra’i. Une portion de lagon et de récif corallien ainsi que, au-delà, une bande de pleine mer sont elles aussi comprises dans le périmètre de protection. Les aspects naturels et semi-naturels de l’environnement terrestre et marin sont en effet des éléments qui ont été considérés à part entière pour le classement du site. Tout cet ensemble forme le substrat sur lequel repose le « paysage culturel » de Taputapuātea, considéré comme « paysage relique » en cela qu’il témoigne encore de nos jours de la présence de la civilisation mä’ohi. Il garde en effet des traces significatives de la manière dont les anciens Polynésiens ont peuplé les îles et organisé leurs espaces de vie – aux niveau social et fonctionnel – en modelant ce paysage pour y vivre de manière durable. Les forêts notamment, sont en partie formées d’espèces végétales utiles (arbre à pain, cocotier, manguier, noni, māpe (chataîgnier tahitien) transplantées dès l’époque des premières occupations humaines, il y a plus de mille ans.

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Des origines à nos jours…

Le Pacifique oriental est l’une des dernières régions du globe à avoir été atteinte et habitée par des êtres humains. Ce fut l’exploit d’un peuple de navigateurs partis de la Polynésie occidentale (Samoa, Tonga). Selon les hypothèses actuelles, les îles Sous-le-Vent auraient été peuplées aux alentours de l’an mille de notre ère. Le marae de Taputapuātea est le résultat d’une série de séquences historiques successives qui s’est arrêtée brutalement à l’arrivée des premiers européens, et, notamment à l’époque de la christianisation de l’archipel de la Société. Il avait plusieurs appellations antérieures à celle de « Taputapuatea » : Feoro, Tinirau-nui-mata, Tinirau-nui-mata-te-papa-o-feoro, Vaiotaha, etc. Répertorié pour la première fois dans les années 1930 par le Pr. Kenneth Emory, du Bernice Bishop Museum, avant d’être consolidé et en partie restauré par le Pr. Yosihiko Sinoto durant les années 1967-1968, le tahua marae Taputapuātea ainsi qu’une partie du complexe Te pō a fait l’objet d’une restauration en 1994-1995 sous la direction de Maeva Navarro, du Centre polynésien des Sciences humaines (CPSH).

Une tradition orale ininterrompue 

« Siège de la Connaissance », « Berceau des (anciens) dieux » polynésiens, le site de Taputapuātea /Te pō a retrouvé sa dimension de « marae international » et il est redevenu de nos jours un lieu majeur de l’expression de l’identité polynésienne. S’y réunissent régulièrement des représentants culturels des îles du Triangle polynésien, dont les ancêtres seraient partis de l’île Havai’i Nui (ancien nom de Ra’iātea) pour peupler d’autres îles éloignées comme l’archipel de Hawai’i ou encore la Nouvelle-Zélande. C’est en tout cas ce qu’assure la tradition orale transmise de génération en génération jusqu’à nos jours, malgré la christianisation et la modernisation de l’île. Les paripari fenua, des textes déclamés à l’occasion de cérémonies, répertorient et glorifient les limites naturelles du territoire : la passe (ouverture vers l’océan et lieu de passage sacré), la pointe où se trouve le marae (avancée naturelle de la terre sur la mer)… Il existe en tout cas une convergence entre ces connaissances orales et les sources documentaires basées sur des témoignages laissés par les premiers explorateurs et missionnaires, dès la fin du XVIIIe siècle. Raison pour laquelle c’est aussi sur cette transmission ininterrompue que se sont appuyés les experts en charge de la classification du site, en complément des investigations archéologiques et ethnologiques menées depuis plusieurs décennies.

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Au cœur d’un réseau de marae du même nom

Reconnu à la fin du XVIIIe siècle comme le plus ancien des marae « royaux » des îles de la Société, il était lié à l’ancienne et puissante dynastie Tamatoa qui a régné sur les îles-Sous-le-Vent jusqu’à la christianisation. La tradition orale rapporte qu’une ou plusieurs pierres du marae Taputapuātea étaient prises lors de ces voyages pour être transportées dans d’autres îles ou archipels, et pour y implanter de nouveaux marae dits «Taputapuātea », dédiés au dieu Oro. Aujourd’hui, on trouve de tels marae à Fakarava (Tuamotu), à Rarotonga (îles Cook), à Tahiti (Pirae, Hitia’a, Punaauia, Tautira) à Moorea, à Tubuai (Australes), à Hawai’i et en Nouvelle-Zélande.

Pour en savoir plus : – Emory, K.P. 1933 – Stone remains in the Society Islands. Bernice Bishop Museum, Bulletin 116, Honolulu HAWAII. – Eddowes, Marc – Origine et évolution du marae Taputapuatea aux îles Sous-le-Vent, CNRS

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Les principaux monuments

La partie du site qui accueille notamment le tahua-marae Taputapuātea tenait un rôle central et matriciel non seulement pour les îles de la région (actuelles îles de la Société), mais aussi dans toute l’aire polynésienne. Sans doute construit au départ pour y célébrer le culte du dieu créateur Ta’aroa, il fut dédié à Oro – dieu de la fertilité et de la fécondité, mais aussi dieu de la guerre – et fut à l’origine de l’expansion de son culte dans les îles de la Société au XVIIIe siècle. Le marae Hauviri, avec sa grande pierre dressée, d’une hauteur de 2,70 m, était réservé à l’investiture des chefs suprêmes, les Ari’i Nui. Le marae, dit des Opu teina, était réservé aux ari’i des branches cadettes (ou teina) grands navigateurs partis fonder de nouveaux marae Taputapuātea. On y trouve aussi, entre autres, une plate-forme d’archers, une place de réunion (pae pae), une pierre sacrificielle et deux autres petits marae. Certaines structures ont été restaurées, mais le plan de cet ensemble et la plupart des matériaux eux‑mêmes sont d’origine.

Le marathon de la classification…

L’inscription de ce site emblématique de la culture polynésienne au patrimoine mondial de l’Unesco, dimanche 9 juillet 2017 lors de la 41e session du comité du patrimoine mondial à Cracovie, en Pologne, est l’aboutissement d’un marathon de plus de vingt ans. Après une première demande d’inscription en 1995, sous l’égide de la Jeune chambre économique de Polynésie française, l’association Na papa e va’u a pris le relais en 2006. Un « comité de gestion » du site Taputapuātea /Te pō a été mis en place en 2009, conformément aux lignes directrices du Plan d’action Pacifique 2010-2015 de l’Unesco. Sa candidature ayant été soutenue par la France et par la Polynésie française, le site a été inscrit en 2010 sur la liste indicative française du patrimoine mondial et son dossier a enfin été accepté à l’unanimité en juillet dernier. Désormais, le comité de gestion a la délicate tâche de veiller aux pressions diverses, anthropiques ou environnementales, qui seraient à même de remettre en question ce classement. Notamment en conservant une zone tampon empêchant d’affecter son état et son intégrité. Le site devra être utilisé pour consolider les connaissances concernant la civilisation polynésienne ancienne par la recherche et l’échange de savoirs ainsi que pour valoriser la culture et l’identité mā’ohi ainsi que toutes les pratiques culturelles associées (agriculture, pêche, artisanat, etc.).

L’association Nā Papa e Va’u

Une association culturelle locale «  Nā papa e va’u  » (« Les huit pierres de fondation »), composée notamment d’anciens issus de la population locale de Ō-po-ä, a été créée spécialement pour la préservation du site Taputapuātea. Elle porte le projet d’inscription à la liste du patrimoine mondial depuis 2006. Elle s’assure de l’implication de la communauté locale et compte parmi ses membres des « personnes ressources » qui ont contribué à rassembler, avec des ethnologues, ce qui subsiste des transmissions orales traditionnelles transmises de génération en génération. Une tâche qui n’a pas toujours été évidente facile. Après deux siècles de christianisation, ce lieu qui avait accueilli des cérémonies païennes et des sacrifices humains, avait une réputation plutôt sulfureuse qui ne commence à être levée que depuis une trentaine d’années. A contrario, certains habitants craignaient que le site soit « vendu » à l’Unesco. « Il est important de préserver notre histoire et notre culture pour les générations à venir », estime Mato Pani, ancien président de l’association, pour qui il est nécessaire qu’on accorde du « respect » à ces lieux.

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